Joggeurs=Délinquants de la Santé ? Lâchez-nous les baskets ![1]
par Gilles Goetghebuer, rédacteur en chef du magazine Zatopek

Ce message vise à démontrer que la réaction de rejet dont sont victimes les coureurs à pied est à la fois bête, injuste et contre-productive.
Lâchez-nous les baskets
Alors, ça y est! Les coureurs à pied sont devenus les nouveaux délinquants de la santé. On les accuse de propager l’épidémie. D’où les visages courroucés des passants. D’où la réflexion adressée l’autre jour par une vieille dame à deux coureurs qui se tenaient pourtant à distance respectable : « Foutez le camp avec vos gouttelettes! »
1/ Le contexte
Cette épidémie est difficile pour tout le monde. Surtout pour ceux qui ont perdu un proche. En situation de crise, on est triste et tendu, c’est normal. En revanche, on peut ne pas ajouter de la haine à la douleur. Certains le comprennent et l’on a vu fleurir un tas d’initiatives solidaires. A l’inverse, on a vu aussi des pays s’écharper pour détourner à leur profit le peu de matériel disponible (gants, masques, réactifs), des politiques se disputer sur la question des responsabilités et des scientifiques se quereller sur l’efficacité de tel ou tel traitement. Dans ce climat souvent délétère, il aurait été superbe que les citoyens s’érigent en modèles d’apaisement. Malheureusement, ce n’est pas ce qu’on a vu. Dans beaucoup de familles, les positions se sont radicalisées au contraire entre les partisans d’un confinement strict et d’autres, plus libertaire, qui voulaient continuer à occuper l’espace public. Vous avez remarqué? Cette ligne de front a souvent été révélée par la question du sport en extérieur. Est-il légitime de vouloir en faire? Se met-on en danger en s’adonnant à sa pratique? Met-on en danger ceux qui nous entourent? Dans un premier temps, on va tenter de répondre rationnellement à ces interrogations. Puis on verra que l’hostilité envers les coureurs se nourrit aussi d’autres causes moins avouables. Alors, sur les risques proprement dit, disons qu’ils sont à ce point faibles qu’en restreignant les pratiques en leur nom, on peut tout aussi bien interdire aux gens d’emprunter encore les trottoirs parce qu’il arrive parfois qu’un pot de fleurs tombe d’un balcon. Rappelons que la majorité de ceux qui développent la maladie savent exactement dans quelles circonstances ils ont été contaminés. A notre connaissance, personne n’a jamais invoqué la course à pied. Rappelons aussi que la maladie se transmet par des postillons. Or, l’immense majorité des coureurs se comportent de façon citoyenne en respectant les trois ou quatre mètres d’éloignement et en évitant de cracher ou de se moucher dans ses doigts à proximité d’autres personnes. Okay, il peut y avoir des exceptions. Qu’on leur réserve alors les accusations d’incivisme et qu’on laisse les autres s’époumoner tranquille. Quant à la thèse d’une possible transmission par aérosol, c’est-à-dire par le biais de gouttelettes très légères qui resteraient dans l’air longtemps après le passage de la personne, rappelons pour terminer qu’elle est hypothétique et ne vaut, de toutes façons, qu’à l’intérieur des établissements. A l’extérieur, elle est vraiment très peu vraisemblable. Ci-dessous, vous trouverez des références de lecture pour qui voudraient creuser la question.
2/ Les vraies causes de rejet
Dans toutes les épidémies de l’histoire, on remarque les mêmes phénomènes, notamment ce besoin de trouver un bouc émissaire: les Juifs, les Espagnols, les Haïtiens ou les sorcières au Moyen-Age qu’on surnommait les « semeuses de peste ». Il semblerait que ce soit le tour des coureurs. Qui l’eût cru? Reste à espérer qu’on ne leur réserve pas les mêmes sorts qu’aux précités. Si vous êtes en manque de lecture déprimante, je conseille L’Histoire de la colonne infâme de l’écrivain italien Alessandro Manzoni. Lors d’une épidémie de peste à Milan en 1630, ce livre décrit l’exécution de deux pauvres bougres accusés à tort d’être des « infecteurs ». Ils sont battus, tenaillés au fer rouge, amputés de la main droite, soumis pendant six heures au supplice de la roue avant d’être finalement brûlés. On n’en est pas encore là avec les coureurs. C’est d’accord. Mais lorsqu’on découvre la virulence de certains propos sur internet, on se dit qu’il ne faudrait pas grand-chose pour rallumer la mèche. Celle des bûchers, bien entendu! Face aux attaques, on serait en droit d’attendre des autorités qu’elles calment le jeu. Problème! Depuis quelques semaines, le discours officiel est confisqué par des « spécialistes » de santé qui n’envisagent la situation qu’à travers le prisme de leur discipline. Bien sûr, il y aurait moins de contagion si tout le monde restait chez soi, 24 heures sur 24. Il y aurait aussi moins de crimes et moins d’accidents. En contrepartie, cela se solderait par une augmentation en flèche des violences et des dépressions. Mais comme ces spécialisations ne sont pas celles de ceux qui édictent ces nouvelles règles, ces écueils passent au bleu!
3/ Moralité
Dans l’hostilité qui se manifeste à l’égard des coureurs à pied (cela vaut aussi pour les cyclistes et les promeneurs), on ne peut pas s’empêcher de distinguer un fond de colère et de frustration de la part de tous ceux chez qui le contexte exceptionnel de pandémie réveille des inclinaisons autoritaires. Or la course à pied a toujours été une rebelle. Au fil du temps, elle s’est successivement opposée au mouvement sportif conventionnel, au discours hygiéniste des médecins qui la disaient trop dangereuse, aux préjugés sexistes, aux carcans de la bienséance. Cette fois, les coureurs démontrent leur attachement aux libertés. Or il se trouve que cet attachement ne contrevient pas aux règles de prudence. Au contraire! On peut tout à fait courir tout en respectant les distances de sécurité. On peut même se sourire et s’adresser des signes complices. De toute évidence, cette convivialité constitue un bien meilleur gage de protection sociétale que l’autre attitude qui consiste à se ronger les sangs et, par la fenêtre, à jeter aux coureurs des regards pleins de haine. Respectons les règles. Gardons nos distances. Mais continuons à nous entraîner!
Gilles Goetghebuer, rédacteur en chef du magazine Zatopek
Quelques lectures:
En discutant avec les uns et les autres, je constate qu’on est nombreux en quête d’informations et pas seulement sur la meilleure façon de se laver les mains. Au fil des jours, j’ai repéré ces quelques interventions et articles intéressants sur internet.
Sur les modes de transmission: https://www.franceculture.fr/…/surfaces-aerosols-le-coronav…
Sur la propagation de l’épidémie: https://www.youtube.com/watch?v=gAk7aX5hksU&feature=youtu.be
https://nymag.com/…/the-story-of-a-coronavirus-infection.ht…
Sur l’état des connaissances: https://www.ledauphine.com/…/dr-karine-lacombe-ce-virus-est…
Et celui-ci, plus compliqué, mais très éclairant sur la dangerosité réelle du virus:
https://chemrxiv.org/…/COVID-19_Disease_ORF8_and_S…/11938173

[1] Titre et photos de Pierre Guelff.